Odesa, Ukraine - Une bibliothèque d’Odesa est remplie d’enfants accompagnés de leurs parents, bien qu’ils ne soient pas là pour parcourir les rayons à la recherche de livres. Aujourd’hui est un jour spécial pour eux, les livres sont laissés intacts en attendant l’arrivée d’amis à quatre pattes. La plupart des participants ne se connaissent pas et la salle est silencieuse alors qu’ils attendent le début de l’événement.
Les enfants finissent par se rassembler en attendant l’arrivée tant attendue des deux amis à fourrure. D’abord réticents à parler ou à se mêler aux autres, l’atmosphère change du tout au tout lorsque la discussion porte sur leurs animaux de compagnie. Soudain, les enfants deviennent bavards et racontent volontiers des histoires sur leurs chats et leurs chiens bien-aimés - leurs noms, leurs couleurs, leurs jeux et leurs promenades.
Il s’agit de l’un des nombreux événements organisés par l’OIM pour apporter du réconfort aux personnes touchées par la guerre en Ukraine, qui entre bientôt dans sa quatrième année. Les chiens permettent aux participants d’échapper temporairement aux réalités quotidiennes de la guerre. La salle autrefois silencieuse est maintenant envahie par les rires et les discussions lorsque les vedettes du spectacle arrivent : deux chiens, un Beagle bondissant et un Chihuahua curieux.
Ces chiens ont fait tout le chemin depuis Kherson, dans le sud de l’Ukraine, avec leurs propriétaires, Olena et Sofia. Alors que les chiens exécutent des tours - marcher sur les pattes arrière, sauter dans des cerceaux et même jouer au football - l’excitation et les rires des enfants s’amplifient. Ils sont invités à se joindre à eux, et bientôt, la pièce est un joyeux tourbillon d’interactions entre les enfants et les chiens.
Avant la guerre, Olena dirigeait un centre de dressage canin à Kherson où elle aidait régulièrement les enfants à trouver un langage commun avec leurs animaux de compagnie. En s’engageant avec les chiens, les enfants apprenaient toute une série de compétences, allant des techniques de dressage des chiens à la maîtrise des peurs, en passant par le développement de compétences en matière de communication. « Sofia était l’une de ces enfants », explique Olena. « Elle est venue me voir à l’âge de 11 ans avec son nouveau Beagle pour le dresser ».
Pendant l’occupation russe de Kherson, Sofia et Olena ont aidé les propriétaires d’animaux de compagnie en livrant de la nourriture pour chiens à ceux qui en avaient besoin. « Cela nous permettait de nous occuper et de rester mentalement stables », se souvient Sofia. « Nous ne pouvions pas rester là à ne rien faire ».
L’Ukraine a repris le contrôle de Kherson à l’automne 2022, cependant le fils d’Olena n’a pas pu aller à l’école en raison de la poursuite des bombardements et des tirs d’artillerie. « Il a commencé l’école pendant la pandémie, puis la guerre a éclaté. Il n’a jamais pu aller en classe, ce qui a été très dur pour lui, car il a manqué non seulement beaucoup de cours, mais aussi des interactions sociales avec les autres élèves. C’est pourquoi nous sommes venus à Odesa ».
Sofia s’est également retrouvée à Odesa, et elles ont continué à travailler ensemble.
Ce sont ces mêmes chiens qui ont aidé Olena à s’adapter à sa nouvelle vie dans une autre ville. À Kherson, elle était connue pour son travail d’éducatrice canine, mais à Odessa, la création de nouvelles relations s’est accompagnée de ses propres difficultés. Bien qu’elle ait proposé des activités gratuites liées aux chiens à diverses ONG, elle s’est d’abord heurtée à un manque d’enthousiasme pour les initiatives qu’elle proposait, ce qui l’a découragée.
Un jour, alors qu’elle jouait avec son chien dans un parc, une femme s’est approchée d’elle. Elle avait elle aussi un chien et lui a demandé si Olena serait intéressée par un spectacle dans un jardin d’enfants local. « Lorsque j’ai demandé qui me permettait d’amener un chien à l’école maternelle, elle m’a répondu qu’elle était en fait la propriétaire de l’école », se souvient Olena.
Les choses ont commencé à changer par la suite. Olena a trouvé un espace abordable pour ses activités en discutant simplement avec les gens dans une animalerie locale. Sa collègue, une psychologue de Kherson, l’a bientôt rejointe à Odessa pour travailler dans une ONG et, ensemble, elles ont commencé à organiser des activités en utilisant leurs amis à fourrure pour apporter du réconfort aux enfants.
« L’une de ces activités m’a permis d’avoir une première expérience concrète avec des enfants qui avaient peur des chiens. Lorsqu’ils surmontaient cette peur, cela renforçait leur confiance en eux et les rendait plus résistants à d’autres peurs », explique Olena.
« Une fois, nous avons reçu un groupe de personnes âgées de plus de 70 ans dont les proches avaient quitté le pays. Elles étaient très isolées. Pour elles, l’interaction avec les animaux de compagnie était une bouée de sauvetage, un moyen de communication essentiel », reconnaît Olena. Ces chiens sont également certifiés pour la thérapie, ce qui leur permet de pratiquer la thérapie assistée par l’animal dans des établissements spécialisés.
« Tout le monde ne peut pas avoir un animal de compagnie, surtout aujourd’hui », explique Olena. « Pendant la guerre, bon nombre de personnes ont dû abandonner leurs animaux de compagnie en raison de l’occupation, ce qui a été une situation déchirante pour beaucoup d’entre elles. Aujourd’hui, beaucoup sont logés dans des habitations où il n’est pas possible de garder des animaux, mais le besoin de se rapprocher des chiens ne les a jamais quittés ».
Une participante, également prénommée Olena, raconte comment une chatte bien-aimée de 13 ans est décédée juste avant l’invasion.
« Je me souviens encore de la façon dont elle m’attendait en regardant par la fenêtre, toujours prête à m’accueillir lorsque je rentrais à la maison », se souvient-elle. « Aujourd’hui, mes amis plaisantent sur le fait que je ne peux pas passer devant un chat ou un chien sans m’arrêter pour lui dire bonjour. Malheureusement, je ne peux pas avoir d’animal de compagnie, car les propriétaires n’autorisent que rarement les locataires à en avoir. C’est pourquoi cette activité est si spéciale : elle me donne une autre chance de nouer des liens ».
« Nos activités visent à aider les participants à évacuer les émotions refoulées, à développer la résistance au stress et à renforcer les capacités de communication grâce à l’interaction avec les chiens », explique Nadiia, Cheffe de l’équipe Santé mentale et soutien psychosocial de l’OIM à Odesa. « Un chien peut jouer un rôle important en favorisant l’empathie et en renforçant les relations au sein d’une famille ».
Leurs services sont très sollicités. Les emplois du temps d’Olena et de Sofia sont chargés, surtout les week-ends, mais elles planifient déjà d’autres projets. « Je cherche d’autres personnes pour rejoindre notre équipe. Je travaille sur un nouveau projet : trouver des familles pour adopter les animaux des refuges afin qu’ils puissent trouver un nouveau foyer pour la vie », explique Olena.
Malgré les difficultés liées au déplacement, Olena et Sofia ont trouvé le moyen de transformer leur passion pour les chiens en une source de joie et de guérison pour les autres.
Cette histoire a été rédigée par Anna Tsybko, OIM Ukraine.