Soudan - Le ciel du Soudan s’est assombri en avril 2023 quand la guerre a éclaté, changeant du jour au lendemain la vie de millions de personnes. Les rues qui résonnaient autrefois des rires et de l'agitation de la vie quotidienne ont soudain été vidées de leurs passants par les coups de feu et la peur. Aujourd'hui, près de 15 millions de personnes ont été contraintes de quitter leur foyer et le Soudan se trouve au cœur de la plus grande crise de déplacement interne au monde. Mais même face à une telle dévastation, les voix du peuple soudanais se soulèvent - non pas dans le désespoir, mais dans la force.
La mère qui portait demain
Zainab Aamer était aide-soignante à Khartoum, travaillant dans les soins préopératoires à Al-Kalakla. Lorsque la guerre a éclaté, elle est devenue protectrice, survivante, veuve, déplacée et a décidé de mener ses six enfants vers l'inconnu. « Je devais protéger mes filles », dit-elle, se souvenant de la peur à chaque poste de contrôle, à chaque barricade sur leur route vers Port-Soudan. Avant d'arriver, sa famille a vécu l'inimaginable : la perte de son fils aîné dans le Kordofan méridional. Pourtant, Zainab a continué à avancer, animée par sa volonté de mère de protéger ses enfants d'un monde qui s'écroule.
Donner la vie dans un monde en feu
Pour Hosna Khamis, la maternité était déjà un équilibre fragile car elle a accouché 17 jours seulement avant que le conflit n'éclate. Son corps n'était pas encore remis qu’elle a été contrainte de fuir Khartoum avec ses cinq enfants. « J'étais très inquiète pour mes enfants », confie-t-elle. « Malgré mon accouchement récent et mon état de faiblesse, j'ai dû les emmener et fuir. » Wad Madani ne leur a offert qu'un refuge temporaire. Au fur et à mesure que la violence se propageait, Hosna Khamis poursuivait sa fuite, s'éloignant chaque fois un peu plus de chez elle, mais se rapprochant de la sécurité.
La promesse de lendemains qui déchantent
Depuis Um Badda, Laila Nasir se souvient d'avoir fui avec espoir. Comme beaucoup, elle pensait que le déplacement ne durerait que quelques jours. Mais les jours se sont transformés en semaines, et les semaines en mois. « Nous sommes partis avec seulement les vêtements que nous avions sur le dos », dit-elle. Sa famille s'est dispersée à travers le Soudan et elle s'est retrouvée seule dans des sites d’accueil de personnes déplacées surpeuplés à Port-Soudan. « Au fur et à mesure que le conflit s'étendait, les sites devenaient de plus en plus bondés et difficiles à vivre », explique-t-elle. Pourtant, elle est restée, s'adaptant, supportant beaucoup de choses, survivant.
Des rêves qui refusent de mourir
À 20 ans, Abdallah Abdulaziz devrait passer ses examens à l’université et s’entraîner pour ses matchs de football. Au lieu de cela, il navigue seul au milieu des autres personnes déplacées. Séparé de sa famille pendant leur fuite du Nil oriental à Khartoum, il n'a pas eu de nouvelles depuis plus d'une semaine en raison des perturbations sur le réseau. Pourtant, il continue de rêver : « J'aime jouer au football et mon rêve ultime serait de jouer pour une grande équipe. » Dans un monde où les routines sont brisées et les liens sont coupés, ses rêves restent intacts.
La douleur de la séparation, la nostalgie du foyer
Pour Abdulmonem Hamed, père de cinq enfants, partir de Khartoum pour Port-Soudan était une question d’urgence. Sa femme était enceinte lorsque la guerre a éclaté. « Il n'y a jamais vraiment de paix quand on est loin de chez soi », se souvient-il. « Même si on ne trouve pas de quoi manger, le retour à la maison est un soulagement. » Ce sentiment d'être chez soi n'est plus qu'un souvenir, mais c'est aussi un objectif, qu'il s'efforce d'atteindre chaque jour.
Le silence entre deux battements de cœur
Amna Ahmed a fui Khartoum avec cinq de ses enfants. Son mari, malade et incapable de voyager, est resté sur place. « Nous avons passé des mois sans nouvelles de lui », dit-elle. « Nous n'avons aucune idée de son état de santé actuel. » Dans sa voix, on perçoit la douleur de la séparation – une douleur partagée par de nombreux Soudanais, qui tous, font face à la perte.
Faisal Ali, d'Al-Dweim, se souvient que la guerre empêchait ses filles de dormir. « Lorsque la guerre a commencé à atteindre notre village, mes filles n'ont pas pu dormir pendant des jours. Je devais veiller sur elles. » Comme de nombreux pères soudanais, il a laissé derrière lui tout ce qu'il avait pour assurer la sécurité de ses enfants. « En tant que père de filles, je ferais n'importe quoi pour les protéger. »
À la recherche de la paix
Jacob Alebaid, autrefois originaire d'Almohandseen, pensait que son premier déplacement de Khartoum à Um Badda suffirait. Mais la guerre l’a rattrapé. Il a donc déménagé à nouveau, d'abord à Al-Jazirah, puis à Sennar, et enfin à Port-Soudan. « Nous pensions que la guerre se terminerait bientôt, mais cela n'a jamais été le cas. » Chaque fois qu'il a déménagé, c'était avec sa fille et sa famille, à la recherche d'un peu de sécurité au milieu du chaos.
Les soignants aussi dans l'attente
Avant la guerre, Bakhita était anesthésiste à Khartoum. Aujourd'hui, elle vit dans un site d’accueil pour personnes déplacées, loin de ses patients, de ses instruments et de sa vocation. Pourtant, elle s'accroche à l'espoir. Ses mains, autrefois si assurées dans les salles d'opération, caressent aujourd'hui des rêves de retour.
La fuite cauchemardesque de Rawda
Rawda Adam a fui Maamoura, à Khartoum, avec sa fille dans les bras alors que les tirs résonnaient tout autour d’elles. « Nous avons enjambé des cadavres pour fuir la guerre », raconte-t-elle. « J'ai dû serrer ma fille contre moi pour qu'elle ne voie pas les horreurs de la guerre. » Aujourd'hui, hébergée dans une école transformée en refuge avec 200 autres familles, elle doit faire face à une chaleur insupportable et à des pénuries d'eau et de nourriture, mais elle est en vie, et sa fille aussi.
Des éclats d'obus toujours douloureux
De Nyala à Khartoum en passant par Gedaref, le parcours d'Hiba est marqué par la douleur, tant physique qu'émotionnelle. Des éclats d'obus ont déchiré sa colonne vertébrale et, bien que la plupart aient été retirés, elle souffre toujours. « J'ai besoin d'un traitement et d'analgésiques, mais en raison du manque d’aide, je ne peux pas les obtenir. » Orpheline, elle a perdu le contact avec son unique frère et vit aujourd'hui dans une tente, poursuivie par ses incertitudes mais refusant de baisser les bras.
Deux mains pour sept âmes
Sarah Abdullah a perdu son mari dans le conflit. Aujourd'hui, dans l'État de Gedaref, elle travaille dans des maisons pour nourrir ses sept enfants. « Avec mon mari, nous ne manquions de rien et je n'avais pas à travailler comme ça », dit-elle. « Aujourd'hui, je joue à la fois le rôle de mère et de père. » La tâche est immense, mais sa détermination l'est encore plus.
Un peuple en attente de paix
Le conflit au Soudan n'a pas seulement brisé des familles, il a aussi mis à rude épreuve tous les moyens de survie. Les camps d’accueil des personnes déplacées et les sites de rassemblement sont bondés. La faim resserre son étau sur plus de 25 millions de personnes. Pourtant, le financement de l'aide humanitaire reste extrêmement faible – couvrant à peine 7 % des besoins.
Et pourtant, le peuple soudanais se relève. En pleurant, mais dans l’espoir. Les Soudanais fuient, mais ils rêvent. Ils sont en deuil, mais ils se battent - discrètement, courageusement - pour la dignité, pour la paix et pour retrouver leur foyer.
Des millions de personnes sont touchées par le conflit, mais ce ne sont pas que des chiffres. C’est l’histoire de Zainab, Hosna, Laila, Abdallah, Amna, Faisal, Hiba, Sarah - des mères, des pères, des filles, des fils - résilients et courageux face à l'adversité. Ils ont besoin que le monde les voie, les entende et les soutienne. Car sans une action urgente et collective, leur souffrance s'aggravera. Et chaque jour qui passe, de nouvelles voix risquent d'être réduites au silence.
Mais s'il est une chose que le peuple soudanais a démontrée, c'est bien celle-ci : même dans la plus obscure des nuits, il ne cessera de chercher la lumière.
Cet article a été rédigé par Kennedy Okoth, chargé de communication (Afrique et Moyen-Orient).