San Jose, 28 juillet 2023 – « Je suis arrivée en République dominicaine en sachant que je devais 4 500 dollars. Mais je ne savais pas dans quelles conditions j'allais devoir les rembourser », raconte Andrea*, une jeune Colombienne qui a quitté son pays à la recherche de meilleures possibilités. « J'ai vite découvert que tout l'argent que je gagnais m'était confisqué et que je devais travailler de longues heures, de 8 heures du matin à 3 heures du matin le lendemain ».
Andrea était confrontée aux difficultés économiques de son pays et au manque de possibilités d'emploi. Alors qu'elle était désespérée, un ami lui a parlé d'une opportunité d'emploi prometteuse en République dominicaine. L'offre était alléchante : un bon salaire et un prêt important de l'entreprise pour couvrir ses frais de voyage.
Espérant économiser de l'argent pour subvenir aux besoins de sa famille, Andrea a accepté le voyage, sans savoir que ses rêves allaient bientôt se transformer en son pire cauchemar.
Dès l'atterrissage, Andrea a été emmenée par un groupe d'hommes dans un lieu secret où d'autres femmes de diverses nationalités étaient retenues en captivité. Dans l’incapacité de rembourser sa dette, elle a été forcée à se prostituer. Son soi-disant ami l'avait trompée pour qu'elle soit exploitée sexuellement par un réseau transnational de traite des êtres humains dans des conditions horribles.
« Ils m'ont forcée à fréquenter plusieurs clients, même pendant mes règles », se souvient Andrea. « À cause de cela, j'ai eu des saignements et j'ai dû consulter un médecin. On m'a dit de cesser toute activité sexuelle car je risquais de développer un cancer des ovaires ».
Après huit mois de profond désespoir, Andrea a retrouvé sa liberté suite à une opération de police. De retour en Colombie et réunie avec sa famille, elle s'efforce de surmonter le traumatisme causé par cette épreuve.
La traite des êtres humains touche les femmes de manière disproportionnée. Selon les statistiques du Collectif de données sur la lutte contre la traite (CTDC, 2023), près de 80 pour cent des cas identifiés de traite des êtres humains dans les Amériques concernent des femmes, et plus de 70 pour cent de ces cas aboutissent à une exploitation sexuelle.
Les victimes d'exploitation sexuelle sont souvent transportées vers d'autres pays, comme dans le cas d'Andrea. Toutefois, les trafiquants peuvent également commettre ces actes sans retenir physiquement la personne ou l'emmener à l'étranger.
María*, une jeune Costaricienne, a été victime de traite des êtres humains à l'âge de 12 ans lorsqu'un prétendu représentant d'une importante agence de mannequins l'a contactée via les médias sociaux pour une séance photo.
« Petite, je n'ai jamais eu de passion pour le mannequinat, mais j'étais attirée par la photographie, alors j'ai participé au casting, qui semblait normal », raconte María. « J'y suis allée avec ma mère. Les photos étaient décontractées. Il n'y avait pas de bikinis ni de peau nue ».
Grâce à leur comportement apparemment professionnel, les représentants de l'agence ont gagné la confiance de María et de sa mère. Mais tout a changé en quelques semaines. « Un jour, ils m'ont dit que je devais les laisser prendre des photos de moi nue et ils ont menacé de tuer ou d'abuser sexuellement de ma petite sœur si je refusais », se souvient María.
Après trois années tumultueuses, María a trouvé le courage de se confier à sa mère. Elles ont décidé de changer d'adresse et de numéro de téléphone, de fermer leurs comptes sur les réseaux sociaux et de dénoncer les trafiquants aux autorités, qui ont fini par les traduire en justice ; ils se sont retrouvés en prison des années plus tard.
Dans les Amériques, on estime qu'une victime de traite sur trois est mineure (CTDC, 2023). Bien que l'exploitation sexuelle reste l'objectif principal, en particulier en Amérique centrale et dans les Caraïbes, les cas d'exploitation du travail sont également une source de préoccupation dans la région.
Tomás, un jeune Guatémaltèque de 14 ans, a été victime d’exploitation du travail aux États-Unis. « J'avais beau travailler dans mon pays, cela ne suffisait pas à couvrir les besoins de ma famille », raconte Tomás. « Alors, quand des amis m'ont parlé d'un coyote qui offrait la possibilité d'aller aux États-Unis pour travailler et gagner des dollars, il m'a semblé que c'était la solution que je cherchais ».
Ce jeune garçon a commencé son voyage avec d'autres enfants du Guatemala, du Salvador et du Mexique. Ils ont franchi la frontière avec de faux documents et sont finalement arrivés en Californie après des jours de voyage dans des conditions inhumaines à l'intérieur d'un camion.
« J'ai vécu dans des conditions atroces, en travaillant de 9 à 12 épuisantes heures chaque jour, et je ne recevais que très peu de nourriture. Je dormais, mangeais et travaillais au même endroit et l’accès à l’eau pour me laver état limité ».
Lui et les autres jeunes ont été forcés de travailler dans une exploitation de tomates et d'autres fruits dans de vastes champs agricoles. Tous les quinze jours, ils recevaient 25 dollars, le reste étant censé servir à rembourser leur dette de voyage.
Un jour, alors que Tomás essayait d'envoyer son maigre salaire à sa famille au Guatemala, l'employé du bureau de virement a remarqué qu'il était extrêmement maigre. Tomás a avoué qu'ils n'avaient reçu la ration alimentaire du matin que deux jours auparavant et a révélé qu'il n'avait que 16 ans et qu'il était originaire du Guatemala. Cette révélation a incité l'employé à signaler la situation à la police.
Grâce à ce signalement, les forces de l'ordre ont pu sauver Tomás, son ami José et trois autres jeunes garçons âgés de 13 à 16 ans qui étaient également exploités pour leur travail. Ils présentaient tous des signes de malnutrition et étaient en état de choc émotionnel.
Dans le monde entier, depuis 2002, le nombre d'hommes victimes de la traite des êtres humains a augmenté. En 2020, les hommes représentaient environ 20 pour cent des victimes détectées. Toutefois, la situation pourrait être bien plus grave en raison du nombre sous-déclaré de victimes de traite masculines recensées dans les quelques études nationales.
Les histoires d'Andrea, de María et de Tomás reflètent la réalité brutale que vivent des millions de personnes dans le monde. Ils sont privés de leur dignité et de leur liberté par des criminels impitoyables qui ne cherchent qu'à tirer profit de la souffrance et de l'exploitation humaines.
Ces récits douloureux soulignent la nécessité urgente pour les gouvernements, la société civile et les organisations internationales d'améliorer leurs stratégies de prévention, d'identification et de soutien aux survivants de ce crime honteux. Ce n'est qu'à cette condition qu'il sera possible de tenir notre promesse de ne laisser aucune victime de la traite de côté dans son droit à la justice et à la réparation.
*Les noms des victimes ont été modifiés pour protéger leur identité.
Texte de Carlos Escobar, assistant communication et médias au Bureau régional à San José.