San Vicente, 27 sep 2021 - Dans la fameuse région du Darién, qui s’étend le long de la frontière entre la Colombie et le Panama, une jeune femme enceinte et son mari, originaires d'Haïti, ont dû affronter seuls la jungle impitoyable de l'un des itinéraires de migration irrégulière les plus dangereux au monde.
Aucune route, aucun serpent venimeux, aucune chaîne de montagnes escarpées, aucune rivière en furie et aucun groupe de voleurs armés n'avaient dissuadé Jean Horima, 25 ans, et sa femme Rose, de risquer leur vie comme le font chaque année des milliers de personnes désespérées originaires de pays comme Haïti, Cuba, le Bangladesh ou la Somalie pour tenter de rejoindre les États-Unis, le Canada ou le Mexique.
Plus de 42 000 Haïtiens, dont des milliers d'enfants, ont entrepris ce dangereux périple depuis le début de l'année, dans l'espoir d'obtenir le statut de réfugié et d’ avoir un meilleur avenir. Beaucoup n'y sont pas parvenus et Jean et Rose savent qu'ils ont de la chance d'avoir survécu, d'autant plus que le bébé est arrivé tôt.
« La jungle est cruelle ; c'est vraiment, vraiment dur. Le plus dur pour moi a été de grimper les montagnes et de traverser l'eau », confie Jean. » Il y a aussi des gens dans la forêt qui vous voleront ou vous tueront. J'en connais qui ont été tués. Oui, des gens qui sont partis avant moi et quand je suis arrivé, je les ai trouvés morts dans les bois. »
Le couple avait débuté le périple d'une semaine du côté colombien avec 50 autres personnes, mais lorsque la première colline s'est profilée, le groupe les a abandonnés. Après plusieurs jours à affronter la forêt tropicale dense, Rose a commencé à accoucher au milieu de nulle part.
« J'étais avec ma femme, et elle m'a dit quoi faire pour l'aider et la sauver », raconte Jean. Elle a accouché et a demandé à son mari de couper le cordon ombilical avec une paire de ciseaux. « J'avais aussi une ficelle noire, et je lui ai dit de l'utiliser pour attacher le cordon ombilical du bébé. Ensuite, nous avons utilisé un t-shirt pour fabriquer un sac dans lequel nous avons porté le bébé », raconte Rose.
La naissance d'un petit garçon en bonne santé leur a donné le courage et la force de continuer et, trois jours plus tard, la famille, épuisée mais soulagée, arrivait au centre d'accueil pour migrants (ERM* en espagnol) de San Vicente, au Panama, qui est géré par le gouvernement panaméen avec le soutien de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Vertulo Renonce et Guerline Mettelus, originaires d'Haïti, ont eux aussi survécu à la traversée du Darién. Ils sont arrivés du Chili avec leur fils de trois ans, Louvertir, et ont traversé la frontière colombienne avec le Panama en février. Le couple a cinq autres enfants et espère rejoindre ses deux aînés au Guatemala. Les trois autres sont toujours en Haïti.
Les parents ont des difficultés à communiquer avec leurs enfants depuis leur arrivée au centre d'accueil pour migrants de Lajas Blancas, mais la vie là-bas n'est pas seulement épuisante psychologiquement.
« La brique de lait que boit Louvertir coûte 4,50 dollars et je dois en acheter une tous les deux jours environ », explique Guerline. La chambre de l’auberge guatémaltèque où séjournent ses enfants coûte 20 dollars par nuit et ses enfants en Haïti ont manqué l'école pendant plus d'un mois car leurs frais de scolarité n'ont pas été payés.
Ils sont arrivés au Panama avec 400 dollars qu'ils avaient cachés de trois agresseurs armés qui avaient dévalisé leur groupe de 14 personnes en cours de route et il ne leur reste que 3 dollars.
Lajas Blancas ressemble à un petit quartier qui peut accueillir jusqu'à 500 personnes. Près de l'unique entrée se trouve un petit kiosque où les gens se rassemblent pour acheter des rafraîchissements et des biscuits et pour recharger leurs téléphones portables. Sur la droite, on trouve des tentes, des douches et des toilettes. Au bord de la rivière se trouve la zone de quarantaine et de soins pour les personnes atteintes de la COVID-19, dont l'accès est limité.
À l'extérieur de sa tente, Jean François, qui a quitté Haïti en 2015, est reconnaissant du répit dans son périple depuis le Brésil avec ses quatre enfants. Il salue un ami d'enfance qui déverse du bois de chauffage ramassé au bord de la rivière pour préparer du riz et des haricots.
« La nourriture qu'ils nous donnent ici n'est pas mauvaise, mais elle n'est pas faite avec amour. C'est ce dont nous avons besoin », déclare Jean François. Ils ont survécu à une semaine dans la jungle avec très peu de nourriture et sont arrivés de Necoclí, en Colombie. « Parmi les 230 personnes qui ont traversé la jungle, il y avait environ une centaine d’enfants. Ça fait mal de les voir, les enfants ne méritent pas ça », dit-il.
Dans l'ERM de San Vicente, Jean Paul, sa femme et leurs quatre enfants font une pause sur le chemin vers les États-Unis. Après les dangers du Darién, ils doivent encore traverser le Costa Rica, le Salvador, le Guatemala et le Mexique.
Ils ont voyagé en bateau jusqu'à la frontière entre la Colombie et le Panama, où ils ont payé un « coyote », ou passeur de migrants, pour les faire traverser la jungle par groupes de centaines de migrants, pour la plupart des ressortissants haïtiens.
Sur les balançoires et le toboggan de San Vicente, trois des jeunes enfants de Jean jouent.
Il est midi. Les agents du Service national des frontières distribuent la nourriture et les gens se pressent à l'entrée en attendant leur tour. Jean Michelet est assis, une assiette de nourriture à la main et, couché dans ses bras, Alejandro, un an, ne s’alimente pas depuis qu'ils sont arrivés au centre trois jours plus tôt.
Jean Michelet s'est assuré que les trois enfants les plus âgés ont mangé et les a emmenés jouer, donnant ainsi du répit à sa femme qui dort dans l’une des maisons. Sans succès, il essaie de faire manger son bébé. Sur son visage, on lit la détresse, l'inquiétude pour l'avenir et la douleur de se remémorer le cauchemar de l'impitoyable région du Darién.
*L'ERM a été construit par le gouvernement du Panama avec le soutien de la coopération internationale, d'organisations intergouvernementales, de la société civile et d'entreprises privées afin de réduire la surpopulation à La Peñita, un autre ERM. San Vicente offre des conditions dignes dans lesquelles la distanciation physique et d'autres mesures de biosécurité peuvent être maintenues pour atténuer la propagation de la COVID-19.
Article rédigé par José Espinosa Bilgray, OIM Panama.