Des hommes déplacés de Carrefour Feuilles se rassemblent sur le site de Virginie sans Peur. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

 Haïti – Dans les quartiers instables de Port-au-Prince, la violence est devenue le quotidien tragique des populations. Les derniers affrontements entre les gangs rivaux et la police à Carrefour Feuilles ont déplacé des milliers de personnes, dont beaucoup ont été contraintes de fuir à plusieurs reprises depuis des années. La zone, en proie à la violence des gangs depuis des années, continue de voir des familles chassées de leurs maisons, obligées de repartir à zéro encore et encore.

Cependant, même dans le chaos du déplacement, des histoires de résilience et de communauté se font entendre dans des lieux tels que les sites de déplacement de Virginie sans Peur et de Parc 10. Ces sites, censés être des abris temporaires, sont devenus des maisons de fortune où beaucoup trouvent de nouveaux moyens de reconstruire leur vie. Les individus puisent leur force les uns auprès des autres, montrant que même dans les circonstances les plus difficiles, l’espoir peut persister.

« Il ne s’agit pas seulement de survivre ! »

Dans les zones ombragées du site de Virginie sans Peur, un groupe d’hommes déplacés se rassemble. Leurs visages, usés par des années de violence, reflètent à la fois l’épuisement et la résilience. Ces hommes, tous originaires de Carrefour Feuilles, un quartier du sud de la capitale haïtienne, ont été déplacés non pas une, mais plusieurs fois, les vagues de violence des gangs bouleversant leur vie année après année. Pour eux, le déplacement est devenu un cycle brutal, chaque nouvel affrontement les obligeant à fuir et à tenter de reconstruire leur vie une nouvelle fois.

« Chaque fois que la violence s’aggrave, nous fuyons. Et quand nous fuyons, nous perdons tout. Par contre, lorsque nous sommes ensemble, c’est un peu plus facile », explique l’un des hommes. « Il ne s’agit pas seulement de survivre, il s’agit de rester humain, de rester connecté. C’est ce qui nous permet de tenir le coup ».

La communauté qu’ils ont construite à Virginie sans Peur est leur façon de lutter contre l’incertitude et la peur qu’engendre le déplacement. Ce site de déplacement au cœur de Port-au-Prince se trouve à quelques kilomètres au nord des maisons inaccessibles de Carrefour Feuilles. Là, les populations réparent les abris, se protègent les unes les autres et s’apportent le soutien émotionnel que seuls ceux qui ont partagé de telles épreuves peuvent comprendre.

Ensemble, ils ont créé un sentiment de stabilité fragile, mais vital, même si la menace de nouvelles violences et de nouveaux déplacements plane. Ce soutien autonome vient s’ajouter au soutien psychosocial fourni par des organisations humanitaires telles que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Né dans un contexte de déplacement !

Solange, une jeune mère, berce son fils Frantz, né dans un contexte de déplacement sur le site de Virginie sans Peur. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Solange tient son fils près d’elle, le protégeant des dures réalités du déplacement et se concentrant sur la construction d’un avenir plus sûr, malgré les défis qui les attendent. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Sur une couverture usée dans une autre partie de Virginie sans Peur, Solange, une jeune mère, berce son jeune fils, Frantz, né dans un contexte de déplacement. Comme beaucoup de jeunes, Frantz n’a connu que le déplacement ; avoir une maison est un concept que sa mère espère qu’il connaîtra. Solange a fui la violence à Carrefour Feuilles plus de fois qu’elle ne peut s’en souvenir. « Je ne sais même pas combien de fois nous avons quitté notre maison. C’est comme si nous ne pouvions jamais nous arrêter de courir ».

Son visage, marqué par l’inquiétude, révèle la tension d’une vie constamment en mode de survie. Pourtant, ses mouvements sont réguliers et déterminés alors qu’elle s’occupe de son fils, veillant à ce qu’il ressente le moins possible les difficultés qu’ils rencontrent. « Il ne comprend rien de tout cela », explique Solange en le regardant de haut. « Et je ne veux pas qu’il comprenne. Il ne devrait pas avoir à le faire ».

Malgré l’incertitude, Solange garde espoir. Sa force ne consiste pas seulement à survivre au déplacement, mais aussi à protéger l’innocence de son fils dans un monde qui menace de le lui enlever. « Je dois rester forte pour lui », dit-elle. « Frantz est tout ce qui me reste. Je dois lui donner un avenir, même si cela signifie que nous devons continuer à fuir pour l’instant ».

Pour des femmes comme elle, le fardeau du déplacement est lourd. Toutefois, elle s’efforce de donner à son fils une chance d’avoir un avenir, même si cet avenir est encore loin d’être certain.

Jonathan, 15 ans, regarde à l’extérieur du bus qui est devenu sa maison temporaire au Parc 10. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

« L’école me manque ! »

Au Parc 10, site pour personnes déplacées, Jonathan, 15 ans, est assis à l’intérieur d’un vieux bus qui est devenu sa maison temporaire. Son regard traverse la fenêtre fissurée, observant le monde extérieur avec un mélange de nostalgie et de réflexion. « L’école me manque », dit-il à voix basse. « J’y allais tous les jours. Maintenant, je me contente d’attendre, en espérant que la situation s’améliore ».

La famille de Jonathan a fui Carrefour Feuilles lorsque la violence s’est intensifiée, cherchant refuge au Parc 10 - un ancien garage transformé en abri géant pour des centaines de personnes en situation de déplacement. Pour les adolescents comme lui, le déplacement a volé plus qu’une maison - il a enlevé la normalité de l’adolescence. Ses journées, autrefois consacrées aux études et aux jeux avec ses amis, sont aujourd’hui marquées par l’incertitude.

« Mes amis me manquent. L’école me manque. Un jour, je veux devenir enseignant. Je veux aider d’autres enfants, comme mon enseignant m’a aidé et inspiré ».

Pour les enfants et les jeunes en situation de déplacement, les conséquences de la violence sont particulièrement profondes, façonnant leur vie très tôt, les enracinant dans la pauvreté.

Parc 10 bourdonne d’activité, les familles en situation de déplacement et les mécaniciens se partageant l’espace. Des bus abandonnés offrent un abri à plus de 1 300 personnes cherchant à fuir la violence. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Vivre dans un bus abandonné !

Parc 10 n’est pas un site de déplacés ordinaires. À l’origine, il s’agissait d’un garage en état de fonctionnement. Aujourd’hui, il accueille plus de 1 300 personnes déplacées qui vivent dans des bus et des voitures qui servaient autrefois à d’autres fins. Ces véhicules, abandonnés, mais pas oubliés, servent aujourd’hui d’abri à des familles qui n’ont nulle part où aller. La vie ici est un étrange mélange de passé et de présent : les mécaniciens continuent de travailler sur les voitures, tandis que les familles s’efforcent de faire avec la routine dans le bourdonnement mécanique des outils et des moteurs.

Les conditions sont loin d’être idéales. L’intimité est une denrée rare et les bus, même s’ils sont mieux que rien, offrent peu de confort. Pourtant, les personnes en situation de déplacement se sont adaptées, tirant le meilleur parti d’une situation difficile.

À Parc 10, les familles s’abritent dans des véhicules qui symbolisaient autrefois la mobilité, aujourd’hui transformés en habitations de fortune. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Alors que la journée touche à sa fin à Parc 10, la vue de personnes vivant dans des bus abandonnés nous rappelle brutalement les défis auxquels sont confrontées les communautés en situation de déplacement à Port-au-Prince. Ces véhicules, autrefois symboles de mobilité et de progrès, sont aujourd’hui des abris immobiles pour des familles qui ont tout perdu. Pourtant, même dans ces conditions difficiles, les habitants font preuve d’une endurance impressionnante.

Leur force ne réside pas seulement dans la survie, mais dans leur capacité à s’adapter et à reconstruire. Qu’il s’agisse d’hommes formant de nouvelles communautés, de mères protégeant leurs enfants ou d’adolescents s’accrochant à leurs rêves, les personnes en situation de déplacement à Port-au-Prince font preuve de résilience face à l’adversité.

Un sentiment de contrôle !

À Virginie sans Peur, à Parc 10 et dans bien d’autres endroits, l’aide de l’OIM permet aux personnes en situation de déplacement d’avoir accès aux services essentiels, même au cœur de la crise. L’OIM fournit de l’eau potable, des installations sanitaires et d’hygiène afin de répondre aux besoins sanitaires de base, tandis que ses services de protection permettent de soutenir les personnes en situation de vulnérabilité, notamment les femmes et les enfants.

Le soutien psychosocial aide également les personnes traumatisées par les déplacements répétés à surmonter leurs expériences et à reprendre le contrôle de leur vie. Ce soutien est essentiel pour aider les Haïtiens en situation de vulnérabilité à préserver leur santé mentale et à trouver la force de continuer à aller de l’avant.

Une délégation d’ECHO en visite sur le site de déplacés de Parc 10 à Port-au-Prince. Photo : OIM/Antoine Lemonnier

Les interventions de l’OIM à Port-au-Prince sont rendues possibles grâce au soutien de l’Union européenne, par le biais du financement du service de la Commission européenne à la protection civile et aux opérations d’aide humanitaire (ECHO). Ce partenariat vital permet aux communautés en situation de déplacement de bénéficier de services essentiels tels que l’eau potable, l’assainissement, la protection et le soutien psychosocial. Il aide également à restaurer la dignité et l’espoir des personnes affectées par la violence et les déplacements, leur permettant ainsi de commencer à reconstruire leur vie.

Cette histoire a été rédigée par Antoine Lemonnier, Responsable de communication à l’OIM Haïti.

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