Rivière Tana, Kenya, 24 novembre 2023 – Leila Hulia et sa famille sont les témoins de phénomènes météorologiques imprévisibles et de temps incertains qui ont ravagé leur communauté dans le comté de la rivière Tana, dans la région côtière du Kenya.
« Il pleut maintenant, et dans deux semaines, ou même après-demain, la sécheresse commencera, et notre bétail mourra ». La voix de Leila se brise lorsqu'elle pense à ce qui va arriver.
Plus de 5 millions de personnes au Kenya ont vu leur accès à l'eau et à la nourriture limité lorsque la sécheresse la plus grave et la plus longue de ces dernières années a frappé le pays entre 2021 et 2023. Les fortes pluies qui s'abattent actuellement sur le pays n'apportent pas le soulagement espéré par les communautés de la rivière Tana. Au contraire, la terre desséchée étant moins absorbante qu'un sol normal, elles provoquent des crues soudaines. Après avoir subi des pertes à la suite de la grave sécheresse, les éleveurs et les agriculteurs sont maintenant confrontés à une nouvelle période catastrophique. Ils enregistrent de nouvelles pertes, les inondations balayant les terres agricoles et tuant leur bétail, qui constituent l'épine dorsale de leurs moyens de subsistance.
En raison de la dépendance de la communauté à l'égard du pastoralisme et de l'agriculture de subsistance, leurs moyens de subsistance sont de plus en plus menacés, car ils sont confrontés chaque année à de longues périodes de sécheresse et d'inondation.
Cette superposition de chocs climatiques a laissé des communautés comme celle de Leila non seulement ébranlées par leurs impacts et luttant pour retrouver leurs moyens de subsistance perdus, mais a également créé de l'incertitude car les modèles météorologiques deviennent plus imprévisibles avec des impacts sévères.
« Nous étions habitués à trois mois de pluie suivis de quelques mois de sécheresse », explique Leila. « Aujourd'hui, nous ne pouvons plus planifier, nous ne savons pas quand la prochaine calamité nous frappera ».
« Notre bétail ne peut pas s'adapter au changement climatique, mais nous, nous pouvons le faire », déclare Leila.
Dans le cadre des efforts déployés pour aider leur communauté à s'adapter à ces temps difficiles et changeants, Leila et trois de ses amies se sont réunies et ont formé le groupe des filles Tawfiq (Tawfiq Girls Group), une organisation de base communautaire (CBO en anglais) de Minjila dont le nom se traduit approximativement par la capacité ou l'opportunité de réussir. Ayant constaté de visu l'impact des chocs climatiques sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de la communauté, malgré leur expérience limitée en matière de culture agricole, elles ont lancé une initiative d'agriculture climato-intelligente afin de cultiver et de vendre leurs produits dans le quartier.
Elles consultent régulièrement des experts agricoles pour obtenir des conseils sur les plantes qui se développent le mieux dans les conditions météorologiques actuelles et sur la meilleure façon de prendre soin de la ferme. Leur besoin de proposer des solutions n'est pas passé inaperçu, puisque la communauté a fait don d'une grande parcelle de terre agricole située à quelques kilomètres de la ville de Minjila. La terre est couverte de sorgho, une culture très résistante à la sécheresse qui sert à la fois de source de nourriture et aussi de fourrage pour les animaux de la ferme.
« Lorsque nous avons créé la ferme, la plupart des membres de la communauté pensaient que nous étions devenues folles », explique Leila. « Aujourd'hui, ils mettent progressivement en place des fermes et adoptent nos idées ».
Cependant, l'acheminement de l'eau jusqu'à la ferme pendant les saisons sèches et la protection des cultures pendant les pluies intenses restent un défi.
« À Minjila, nous restons jusqu'à trois mois sans eau. Nous devons marcher près de cinq kilomètres jusqu'à Idsowe, où passe la rivière Tana, pour atteindre la source d'eau la plus proche, et les 20 d’entre nous ne peuvent ramener que deux jerrycans de vingt litres chacun pour les utiliser à la maison et à la ferme », explique Leila.
Le manque d'accès à l'eau pousse les jeunes femmes et les filles de la communauté à parcourir des distances plus longues que d'habitude pour aller chercher de l'eau pour l'agriculture et pour leur ménage, ce qui les rend plus vulnérables à l'exploitation sexuelle et à la violence basée sur le genre.
Le groupe a mis en place un réservoir de stockage d'eau pour la communauté afin d'atténuer ces risques.
Le projet d'approvisionnement en eau génère environ 7 500 shillings kenyans (49 USD), somme qu'elles utilisent pour acheter des serviettes hygiéniques qu'elles donnent aux écoles tout en menant des campagnes de sensibilisation contre les mutilations génitales féminines, très répandues dans la région côtière du Kenya.
En raison de l'augmentation de la demande, un seul réservoir suffit à peine pour approvisionner l'ensemble de la communauté.
« Nous avons les solutions pour renforcer la résilience face aux effets du changement climatique dans notre communauté, mais nous avons besoin de ressources et de compétences pour les mettre en œuvre », déclare Leila.
Grâce à ce projet, les filles Tawfiq ont identifié l'intersectionnalité entre les impacts de la sécheresse, y compris le manque d'accès sécurisé aux ressources qui en résulte, et la violence basée sur le genre, l'exploitation sexuelle et les normes culturelles négatives qui ont un impact sur les femmes et les filles. Elles continuent à se concentrer sur l'identification et la mise en place de solutions pour répondre à ces problèmes multiples.
Ce projet financé par le Fonds de l’OIM pour le développement fait partie de la campagne « Pense à Demain, Agis Aujourd'hui ».
Cet article a été rédigé par Wendy Gloria, assistante en communication sur la migration, l'environnement et le changement climatique, Bureau régional de l'OIM pour l'Afrique de l'Est et la Corne de l'Afrique.