Spin Boldak, 25 mai 2023 – A la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan, des dizaines de camions, de voitures et de rickshaws colorés sillonnent une route sableuse, créant d'épais nuages de poussière. L'atmosphère est tendue, la pluie commence à tomber alors que les gardes-frontières des autorités de facto tentent d'organiser le va-et-vient des véhicules.

Il y a quelques mois, des échanges de tirs ont fait des morts de part et d'autre du « Point Zéro », la ligne de démarcation entre l'Afghanistan et le Pakistan. Depuis août 2021, les tensions entre les deux pays se sont intensifiées. Les rixes entre gardes aux postes-frontières comme Spin Boldak ou Torkham sont récurrentes.[1]

Les gardes-frontières organisent les allées et venues des véhicules. Photo : OIM/Léo Torréton

De l'est au sud-ouest de l'Afghanistan, à travers la ligne Durand, une clôture de quelque 2 600 kilomètres sépare les deux pays. Des projecteurs allumés depuis des postes de garde parcourent les montagnes pour s'assurer qu'aucun voyageur, qu'il s'agisse de réfugiés ou de migrants, ne passe de l'autre côté pendant la nuit.

De l'autre côté de la ligne Durand, une clôture de quelque 2 600 kilomètres divise l'Afghanistan et le Pakistan. Photo : OIM/Léo Torréton

Néanmoins, de nombreux Afghans tentent de se rendre au Pakistan, de façon régulière ou non, généralement pour travailler, étudier, se faire soigner, rendre visite à leur famille ou fuir des situations qui mettent leur vie en danger. Les itinéraires de trafic illicite sont empruntés plus fréquemment, car de nombreux Afghans n'ont pas les documents légaux requis pour voyager. En mars 2023, au moins 340 000 Afghans se sont rendus au Pakistan en passant par les points de passage frontaliers, et on estime qu'un nombre encore plus élevé d'entre eux l'ont fait en empruntant des points de passage irréguliers.

Un flux constant d'hommes, de femmes et d'enfants se fraye un chemin à travers le labyrinthe de couloirs et de clôtures qui forment la frontière. Ils marchent sous une pluie battante, sacs en bandoulière, les pieds dans les flaques d'eau et la boue, pour atteindre l'autre côté. Qu'ils quittent l'Afghanistan ou qu'ils y retournent, le flux de personnes est continu. Le personnel de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) est posté de chaque côté de la frontière, recensant les départs et les arrivées, et effectuant des examens sanitaires des maladies transmissibles ou susceptibles de provoquer des épidémies, afin de réduire tout risque d'exposition au sein de leurs communautés.

De nombreux migrants de retour du Pakistan traversent la frontière à pied pour retourner en Afghanistan. Photo : OIM/Léo Torréton

Aujourd'hui, le centre d'accueil de l'OIM à Spin Boldak reçoit de plus en plus de migrants de retour et d'autres expulsés sans papiers qui n'ont pas obtenu ou pu obtenir un statut légal au Pakistan. Depuis le début de l'année, les expulsions d'Afghans sans papiers se multiplient. Plus de 2 000 personnes ont été expulsées entre janvier et mars 2023, contre 500 au cours de la même période l'année dernière. Ce chiffre devrait rapidement dépasser le nombre total d'expulsions enregistrées en 2022 (2 900). 

« Notre maison a été endommagée par l'explosion d'une mine terrestre », raconte Zari Gul, une Afghane de 53 ans, mère de six enfants. « Mon mari et moi avons été contraints de nous rendre au Pakistan en raison du conflit [il y a quelques années] ».

« Lorsque nous avons déménagé au Pakistan, mon mari a trouvé un emploi d'ouvrier journalier, mais ces derniers mois, la police a arrêté tous les Afghans [de mon quartier], dont mon mari », ajoute-t-elle. « J'ai appris qu'il était détenu au bout d’un mois et lorsque je suis allée au poste de police, ils nous ont mis en prison, moi et mes enfants. Il y avait beaucoup d'Afghans. Nous, les femmes, étions dans une pièce et les hommes dans des pièces séparées ; ils ne nous donnaient pas de nourriture correcte ».

En raison de la complexité des relations entre les deux pays, les conditions de vie des Afghans sans papiers au Pakistan se détériorent. Des rapports récents font état de personnes détenues pendant plusieurs mois avant d'être renvoyées en Afghanistan.

De nombreux migrants de retour du Pakistan traversent la frontière à pied pour retourner en Afghanistan. Photos : OIM/Léo Torréton

« Pendant le conflit en Afghanistan [il y a plusieurs années], nous avons été déplacés d'Uruzgan à Kandahar », raconte Basmina, une Afghane de 45 ans, mère de quatre enfants. « Nous n'avions pas une bonne vie à Kandahar, alors mon mari a décidé que nous irions tous au Pakistan ».

« Trois ans plus tard, il est tombé malade et est décédé. J'étais une mère célibataire au Pakistan et mes enfants étaient en bas âge. Les gens disaient que la police capturerait des Afghans et les jeterait en prison s'ils ne retournaient pas en Afghanistan. Je suis partie, mais deux de mes enfants sont restés ».

Basmina est assise dans le centre de transit de l'OIM, réfléchissant à son retour en Afghanistan. Photo : OIM/Léo Torréton

Épuisée par son dangeureux voyage, Basmina est arrivée au centre d'accueil de Spin Boldak et, grâce au transport fourni par l'OIM, a été transférée au centre de transit de l'Organisation à Kandahar où elle a pu passer la nuit et recevoir de l'aide.

Réticente à l'idée de retourner à sa vie à Kandahar, elle explique : « Je ne suis pas libre de me déplacer et de sortir comme je le souhaite ». Même avant de se rendre au Pakistan, Basmina n'a jamais possédé de documents légaux et reste aujourd'hui sans papiers. Se déplacer dans Kandahar en tant que femme célibataire, avec les règles et les normes imposées par les autorités de facto, est presque impossible.

« Mes deux autres garçons sont mineurs et ce sont eux qui travaillent pour apporter un revenu à notre foyer. J'aimerais que mes deux filles puissent aller à l'école ».

De moins en moins de migrants de retour et de déplacés internes en Afghanistan disposent de papiers en règle. L’absence d'accès aux documents d'état civil, y compris le Tazkira, la carte d'identité nationale, et les passeports, est le résultat d’une fourniture intermittente de services par le Département de la population et de l'enregistrement en Afghanistan. En outre, les femmes comme Basmina et les membres de groupes ethniques minoritaires sont plus susceptibles d'être sans papiers car ils n'ont jamais obtenu de documents en raison de normes politiques et socioculturelles historiques.

Au cours de leur voyage, les migrants de retour sans papiers sont plus susceptibles d'être confrontés à des violations des droits de l'homme de la part des forces de sécurité des États voisins et des États de transit. Il s'agit notamment de l'usage de la force et des armes à feu, de la torture et d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est essentiel que la communauté humanitaire fasse de la sensibilisation et lutte contre ces abus, et que les autorités de facto facilitent l’accès aux documents d’état civil pour tous.

Les équipes de l'OIM recensent les voyageurs des deux côtés de la frontière. Photo : OIM/Léo Torréton

Les assistants sociaux de l'OIM aident les femmes comme Basmina à reprendre contact avec leur famille et à accéder à un abri, à de la nourriture, à des moyens de subsistance et à d'autres services essentiels après leur retour. L'OIM travaille également avec des partenaires dans les centres d'accueil et de transit pour sensibiliser les migrants de retour sans papiers à la question des documents légaux, afin qu'ils comprennent mieux le processus d'obtention des documents légaux et l'avantage de détenir de tels documents. 

En 2023, sous réserve de l'obtention de ressources supplémentaires, l'OIM prévoit de fournir une protection à 6 500 migrants afghans sans papiers revenant du Pakistan par les frontières de Spin Boldak et de Torkham. 

Après l'application récente du décret du 24 décembre 2022 interdisant aux femmes afghanes de travailler avec des organisations non gouvernementales nationales et internationales, l'OIM a été contrainte de suspendre temporairement ses opérations, car il est impossible de fournir une aide humanitaire fondée sur des principes sans accéder à la moitié de la population. En conséquence, les migrants de retour sans papiers voyageant seuls, comme Zari Gul et Basmina, ne peuvent plus recevoir d’aide. En coordination avec les dirigeants des Nations Unies et les organisations humanitaires, l'OIM plaide pour que les autorités de facto révoquent la décision interdisant aux femmes afghanes de travailler pour des organisations humanitaires et pour que les services de base soient disponibles et accessibles à tous, indépendamment du sexe, de l'appartenance ethnique, du statut civil ou financier, ou de toute autre distinction, conformément à leurs obligations en vertu du droit international des droits de l'homme et des exigences culturelles.

Les noms et les données d'identification ont été modifiés pour protéger l'identité des migrants de retour.

Cet article a été écrir par Léo Torréton, responsable des médias et de la communication, OIM Afghanistan. Pour plus d'informations, veuillez contacter : ltorreton@iom.int

                   
[1] Pour plus d’informations, veuillez consulter l’Aperçu régional Asie-Pacifique de l’ACLED, décembre 2022 

SDG 3 - BONNE SANTÉ ET BIEN-ÊTRE
SDG 10 - INÉGALITÉS RÉDUITES
SDG 16 - PAIX, JUSTICE ET INSTITUTIONS EFFICACES