La jeune Amara*, sept ans, n'avait aucune chance de survivre lorsqu'elle a été prise au piège dans un bateau en perdition contrôlé par des passeurs au large de Djibouti.
Amara faisait partie d'au moins 60 migrants et réfugiés qui tentaient de rentrer du Yémen vers la Corne de l'Afrique via Djibouti en avril lorsque leur bateau s'est brisé et a sombré.
Elle n'est pas encore prête à parler de l'incident qui a tué sa mère et son jeune frère, ainsi que des dizaines d'autres personnes. Sa survie - elle est l’une des seules à avoir survécu avec 14 autres personnes - tient du miracle. Seule et effrayée, Amara a pu compter sur d'autres survivants pour trouver de l'aide. Ensemble, ils ont réussi à atteindre la côte où ils ont été recueillis par les garde-côtes et transférés vers la ville de Djibouti.
Djibouti est un point de transit majeur pour les migrants, principalement éthiopiens, qui traversent la péninsule arabique par la « route de l’Est ». Cet itinéraire comporte trois étapes. La première relie le pays d'origine des migrants à Obock, Djibouti, ou à Bosaso en Somalie. La seconde concerne la traversée maritime entre Obock ou Bosaso et le Yémen, et le point de passage frontalier du Yémen vers d'autres États du Golfe - principalement le Royaume d'Arabie saoudite.
En général, plus de 90 pour cent des migrants qui arrivent au Yémen espèrent se rendre en Arabie saoudite, mais avec le renforcement de la sécurité aux frontières depuis avril 2020 en raison de la pandémie de COVID-19, le passage dans le pays est devenu presque impossible.
« Bon nombre espéraient trouver du travail dans le Golfe pour rembourser la dette qui a financé leur voyage et envoyer de l'argent à leur famille », explique Mouna Ibrahim, responsable nationale de la protection à l'OIM à Djibouti. Cependant, leurs espoirs ont été réduits à néant lorsqu'ils ont découvert qu'il serait impossible d'atteindre leur destination finale en raison des restrictions frontalières. »
Ainsi, au moins 32 000 migrants se sont retrouvés bloqués au Yémen, avec un accès extrêmement limité aux abris, aux soins de santé, à la nourriture et à l'eau. Les migrants au Yémen sont victimes de violations des droits de l'homme, notamment d'enlèvement, d'exploitation et de détention arbitraire. Ces risques existaient déjà avant la pandémie, mais ils se sont accrus au cours des 18 derniers mois.
N'ayant que peu d'options pour rentrer chez eux, les migrants qui empruntent cet itinéraire risquent principalement de faire appel à des passeurs pour la traversée maritime vers Djibouti et la Somalie, sans aucune garantie d'arriver à bon port. Les passeurs utilisent de petites embarcations, peu fiables et surchargées, qui peuvent facilement chavirer. Parfois, certains jettent les migrants par-dessus bord pour réduire le poids.
Selon le rapport 2020 de l'OIM intitulté « A region on the Move », les hommes éthiopiens représentent 72 pour cent des mouvements le long de cet itinéraire, mais l'OIM observe un nombre plus élevé d'enfants migrants non accompagnés (UM) empruntant ce dangereux itinéraire qui traverse des régions désertiques, la mer et le Yémen déchiré par la guerre. La proportion d’UM a augmenté entre 2019 (6 pour cent) et 2020 (9 pour cent). Au total, ils représentent 71 pour cent de tous les enfants migrants le long de la « route de l'Est » en 2020, contre 46 pour cent en 2019.
Il est courant que beaucoup de ces enfants quittent leur foyer sans aucune information sur le périple qui les attend. Certains ne savent même pas qu'ils vont traverser une étendue d'eau ou passer par des zones de conflit. Une étude menée par l'OIM indique que plus de la moitié (59 pour cent) des primo-migrants récemment interrogés à Obock n'ont pas informé leur famille de leur décision de migrer avant leur départ, le plus souvent par crainte que leur famille ne les empêche de partir ou parce qu'ils ne voulaient pas les inquiéter.
Le Rapport sur la migration en Afrique, élaboré par l'OIM et l'Union africaine, explique que les enfants - avec ou sans leur famille - migrent ou fuient à l’intérieur de l’Afrique pour diverses raisons, souvent à la recherche de moyens de subsistance et d'un autre soutien social leur permettant de répondre à leurs besoins fondamentaux.
« Les enfants migrants le long de la ‘route de l'Est’ sont particulièrement vulnérables à la violence, au travail forcé, à la traite et à la détention, davantage encore pour les enfants non accompagnés ou séparés qui sont souvent incapables de se protéger pendant leur dangereux périple », explique Ibrahim, de l'OIM. Les problèmes de santé mentale, notamment le syndrome de stress post-traumatique, sont également fréquents chez les UM.
Les États ont l'obligation, en vertu de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant (CNUDE), de protéger les enfants. Les acteurs humanitaires, qu'il s'agisse de partenaires internationaux ou locaux, se coordonnent également avec l'État pour fournir une protection et une prise en charge spécialisées. Cette collaboration permet de garantir le respect des droits de l'enfant, à savoir la non-discrimination, l'intérêt supérieur de l'enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement, le droit à l'alimentation, au logement, à la santé et aux services de santé, à l'éducation, au nom et à la nationalité, l'absence de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la protection contre l'exploitation et les abus sexuels, et le droit à une prise en charge et une protection parentales.
A Obock, Djibouti, le personnel du Centre de Réponse pour les migrants (MRC) de l'OIM accueille régulièrement des enfants migrants non accompagnés de retour du Golfe et leur fournit un soutien. Dans le MRC, les migrants ont accès à des services médicaux, à un soutien psychosocial, à une orientation vers d'autres services, et reçoivent des informations et une aide pour rentrer chez eux en toute sécurité.
« Au MRC, les services de santé mentale et de soutien psychosocial (SMSPS) fournis par le personnel de l'OIM permettent de traiter les réactions psychologiques négatives des enfants qui ont subi des expériences traumatisantes afin de les aider dans le processus de rétablissement », explique Ibrahim.
Chaque migrant (y compris les UM) fait l'objet d'un examen de vulnérabilité pour identifier ses besoins immédiats et bénéficie d’un accompagnement et d'un enregistrement. Une évaluation de l'intérêt supérieur est effectuée pour les enfants non accompagnés. Lorsque l'enfant souhaite rentrer chez lui volontairement, l'OIM, en coordination avec les autorités et les partenaires de Djibouti et du pays d'origine, lance le processus de recherche et d'évaluation de la famille afin d'identifier le meilleur type d'aide à la réintégration une fois de retour chez lui.
Dans le cas d'Amara, elle a été placée dans un centre d'accueil pour enfants géré par Caritas à Djibouti, tandis qu'une commission jugeant l’intérêt supérieur - la première du genre à Djibouti, convoquée pour les cas de protection les plus sensibles - était organisée pour déterminer un plan d'action approprié.
La commission, composée des principaux acteurs de la protection à Djibouti - notamment du Ministère de la Femme et de la Famille, du Ministère des affaires sociales, du Ministère de la Justice, des agences des Nations Unies, des ONG locales et d'autres partenaires de la protection, ainsi que l'Ambassade d'Éthiopie - a décidé à l'unanimité de renvoyer Amara en Éthiopie, son pays d'origine. Cela lui permettrait de retrouver sa famille et de bénéficier d'un suivi médical.
Pendant que la Commission prenait sa décision, le personnel de l'OIM a veillé à ce qu'Amara reçoive un soutien en matière de santé mentale et psychosociale (SMSPS) en l'adressant à un psychologue clinicien formé pour travailler auprès d’enfants traumatisés. Ce type de soins est un service essentiel fourni aux migrants, en particulier aux enfants, qui arrivent au MRC.
En plus d’un accompagnement individuel, le personnel de l'OIM anime régulièrement des groupes de discussion qui permettent aux enfants de parler des difficultés qu'ils ont rencontrées pendant leur voyage et des craintes qu'ils peuvent avoir à l'idée de rentrer chez eux. Pour s'assurer qu'ils restent occupés tout au long de la journée, un assistant SMSPS de l'OIM élabore un emploi du temps comprenant des activités telles que les arts martiaux et le jardinage.
Un peu plus de deux mois après sa douloureuse épreuve, Amara a quitté Djibouti le 24 juin 2021, accompagnée du point focal de la protection de l'OIM pour les UM à Djibouti, afin de retrouver les membres survivants de sa famille en Ethiopie. Son voyage a été coordonné par le personnel de l'OIM à Djibouti et en Ethiopie qui a veillé à ce qu'Amara arrive à destination en toute sécurité. Maintenant qu'elle a retrouvé sa famille, le personnel de l'OIM en Ethiopie continuera à suivre Amara et à soutenir sa réintégration.
Des milliers de migrants, y compris des enfants non accompagnés comme Amara, restent bloqués le long de la « route de l'Est ». Pour continuer à fournir des services de retour et de réintégration essentiels, l'OIM a lancé un appel de 99 millions de dollars, pour lequel un soutien supplémentaire est indispensable. Cet appel permettra également d'aider les Etats membres à renforcer les mécanismes de protection des enfants le long de cet itinéraire.
Malheureusement, l'histoire d'Amara n'est qu'une parmi des milliers d’immenses tragédies vécues chaque jour par les migrants le long de la dangereuse « route de l'Est ».
En collaboration avec les gouvernements et les partenaires humanitaires, l'OIM s'engage à relever les défis humanitaires, ainsi que les difficultés en matière de droits de l'homme, de sûreté et de sécurité auxquels sont confrontés les migrants dans la région - en particulier les enfants non accompagnés comme Amara.
L’aide au retour volontaire et à la réintégration de l'OIM en Afrique de l'Est et dans la Corne de l'Afrique est rendu possible grâce à l'Initiative conjointe UE-OIM, un partenariat tripartite entre l'Union européenne (UE), l'OIM et 26 pays africains. Depuis mars 2017, plus de 7 000 migrants de la région sont rentrés chez eux et plus de 9 000 migrants de retour ont entamé le processus de réintégration pour redémarrer leur vie en Éthiopie, en Somalie et au Soudan, ainsi qu'à Djibouti, en Érythrée, au Kenya, au Soudan du Sud et en Ouganda.
*Le nom d'Amara a été modifié pour protéger sa vie privée.
Cette histoire a été écrite par Amber Christino, responsable des médias et de la communication au Bureau régional de l'OIM pour l’Afrique de l'Est et la Corne de l'Afrique, email : achristino@iom.int