Ajouter de la vie à leurs jours

Offrir dignité et soutien par les soins palliatifs à Cox's Bazar

Abdulai, 26 ans, aide sa grand-mère Beloca à faire des exercices de physiothérapie de base à la maison. Photo : OIM/Monica Chiriac

En 2017, Tasnim travaillait comme médecin dans une maternité à Dhaka, où elle aidait chaque jour à mettre au monde des bébés. Lorsque les habitants ont commencé à fuir la violence au Myanmar voisin en 2017, Tasnim a immédiatement rejoint une équipe médicale qui a examiné environ 60 000 femmes enceintes réfugiées à Cox's Bazar. Après une semaine d'évaluation, ayant vécu le chaos et répondu aux besoins aigus sur le terrain, elle a décidé de rester. « J'aurais regretté de ne pas faire plus », raconte Tasnim.

Deux ans plus tard, elle a commencé à travailler comme responsable du programme de soins palliatifs de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). L'OIM a commencé à renforcer les services de soins palliatifs dans les camps de réfugiés rohingyas début 2020, avant l’apparition de la pandémie de COVID-19, et a depuis progressivement intégré ces services essentiels dans la réponse à la COVID-19 et aux soins de santé en général.

Les soins palliatifs sont un domaine médical spécialisé qui vise à soulager les personnes atteintes d’une maladie chronique ou en phase terminale, comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux ou la paralysie. L'objectif est d'améliorer la qualité de vie des patients et des soignants.

« Nous nous efforçons d'ajouter de la vie à leurs jours, et pas nécessairement d'ajouter des jours à leur vie », explique Tasnim. La recherche a montré que les soins palliatifs peuvent non seulement améliorer la qualité de vie des patients atteints de maladies en phase terminale, mais dans certains cas, ils peuvent même améliorer leur taux de survie.

La petite équipe de soins palliatifs de l'OIM à Cox's Bazar reçoit jusqu'à 26 patients par jour. Photo : OIM/Monica Chiriac

Les nouveaux collègues de Tasnim étaient convaincus que la transition serait longue et douloureuse pour une personne habituée à mettre des vies au monde. Les gens étaient curieux de savoir pourquoi un médecin comme elle choisissait de travailler avec des personnes diminuées par la maladie plutôt qu'avec des personnes ayant de meilleures perspectives, se souvient-elle. « Je dois toujours rappeler aux gens que nous finissons tous par mourir, mais la façon dont nous quittons ce monde a son importance, aussi bien pour les personnes qui meurent que pour celles qui les entourent ».

L'un des piliers des soins palliatifs est la gestion des symptômes, qui permet de soulager directement les symptômes physiques du patient. Le deuxième pilier se concentre sur l'apport d'un soutien psychologique aux patients et aux soignants afin de les aider à faire face au diagnostic et à réfléchir aux prochaines étapes. « Personne ne veut parler de la mort ou des funérailles, mais parfois nous ne savons pas si le patient a encore six jours ou six mois à vivre et ce sont des discussions importantes à avoir », explique Tasnim.

Les patients sont régulièrement orientés vers l'OIM et les équipes de santé mentale et de soutien psychosocial (SMSPS) partenaires, tandis que des séances de formation à la gestion de la colère et des émotions sont organisées systématiquement à l'intention des patients et des soignants.

Un diagnostic de phase terminale peut avoir un impact non seulement sur le patient, mais aussi sur ses soignants. Par exemple, la maladie dont souffre le mari de Khadija a provoqué chez elle une anémie et une dépression, mais grâce à des séances de thérapie régulières, son humeur s'est progressivement améliorée. Son mari, Abdurahaman, 65 ans, qui a longtemps été le principal soutien de famille, se sent maintenant souvent comme un fardeau.

En tant que principal soutien de famille depuis longtemps, Abdurahaman, 65 ans, se sent maintenant souvent comme un fardeau. Photo : OIM/Monica Chiriac

Ce qui a commencé par une simple égratignure au pied il y a sept ans s'est transformée en une infection qui lui a finalement valu l'amputation de trois de ses orteils. Mais cela n'a pas dérangé Abdurahaman autant qu'il l'avait imaginé. « Je suis prêt à tout couper si nécessaire », dit-il. Aujourd'hui, son diagnostic est une maladie artérielle périphérique avec une maladie rénale chronique et de l'hypertension. Les médicaments, la physiothérapie et le soutien psychosocial ont apporté un soulagement indispensable à toute la famille. « Je peux enfin dormir la nuit », confie Khadija.

L'équipe aborde également le sujet de la stigmatisation qui accompagne souvent le diagnostic du patient, car la plupart des maladies terminales sont encore perçues par la communauté comme une malédiction de Dieu. « Nous essayons de leur faire comprendre, au niveau individuel et communautaire, que la maladie n'est pas de leur faute », dit Tasnim. Enfin, les équipes travaillent en étroite collaboration avec les chefs spirituels, qui à leur tour soutiennent les patients dans le processus de repentance pendant leurs derniers jours.

Depuis qu'il a commencé les soins palliatifs, Toha, 17 ans, a retrouvé des sensations dans ses membres supérieurs et inférieurs. Photo : OIM/Monica Chiriac

L'un des plus jeunes patients de l'équipe, Toha, a reçu une balle dans le cou à 14 ans à peine alors qu'il fuyait le Myanmar avec sa famille. Son oncle et son père ont dû le porter dans une couverture tout au long du pénible voyage vers le Bangladesh, où il a été immédiatement transporté à l'hôpital. Même les opérations chirurgicales importantes au cours de l'année suivante n'ont pas pu sauver Toha de la quadriplégie.

Depuis qu'il a commencé à recevoir des soins palliatifs, notamment pour la gestion des symptômes, le traitement des plaies, la physiothérapie et le soutien psychosocial, Toha, 17 ans, a retrouvé la sensation de ses membres. « Après presque trois ans, je peux enfin m'asseoir et bouger mes mains », déclare-t-il. Même si Toha ne se remettra jamais complètement de sa blessure, ce petit signe d'indépendance fait une grande différence dans sa vie et celle de sa famille.

Les soins palliatifs sont encore un domaine un peu nouveau au Bangladesh, à peine couvert dans le cursus universitaire et avec des services limités dans tout le pays. « En tant que médecins, on nous apprend toujours à nous concentrer sur le fait de sauver des vies », explique Tasnim. Au niveau national, il n'existe que trois centres de soins palliatifs, mais aucun à Cox's Bazar, où 1,3 million de réfugiés et de membres des communautés d'accueil sont actuellement dans le besoin.

Depuis son attaque il y a six mois, Amina, 70 ans, est alitée et incapable de travailler. Photo : OIM/Monica Chiriac

Malgré la reconnaissance croissante des avantages des soins palliatifs dans les situations humanitaires, leur fourniture a été largement négligée par le secteur humanitaire. L'équipe de soins palliatifs sait qu’il s’agit d’un combat difficile, mais les choses changent lentement et les soins palliatifs deviennent progressivement un domaine médical établi à part entière, moins considéré comme une guérison spirituelle ou un soutien psychologique. Aujourd'hui, les programmes de santé de cinq centres de soins de santé primaires de l'OIM dans les upazilas (ou sous-districts) d’Ukhiya et de Teknaf, à Cox's Bazar, incluent des soins palliatifs intégrés dans les services fournis, tout en proposant des visites à domicile et des activités de proximité. 

Si, en 2017, lorsque le programme de soins palliatifs a été lancé, les gens ne connaissaient pas ou ne comprenaient pas le terme « soins palliatifs », aujourd’hui, de plus en plus de personnes demandent de l'aide. En outre, divers groupes communautaires participent au processus et de plus en plus de personnes sont orientées vers des services de soins palliatifs chaque jour.

Entre décembre 2020 et janvier 2021 notamment, près de 800 patients ont reçu des services de soins palliatifs, comprenant la gestion de la douleur et des principaux symptômes, la prévention des infections et l'orientation vers des équipes appropriées pour une prise en charge psychologique et spirituelle. En janvier 2021, 6 219 personnes ont été aidées par les équipes de l'OIM de sensibilisation aux soins palliatifs, et 7 888 consultations internes/externes ont été effectuées par l'équipe de soins palliatifs.

Jalal, 85 ans, vient régulièrement à la clinique avec sa femme pour ses exercices de physiothérapie. Photo : OIM/Monica Chiriac

L'équipe de soins palliatifs est peut-être petite, mais elle organise régulièrement des activités de renforcement des capacités pour les professionnels de la santé et vise à étendre ses activités à d'autres centres de santé. Le Dr. Tawhid Mahmood, qui travaille en coopération avec le programme depuis près d'un an maintenant, reconnaît les défis que représente une si petite équipe : « Nous ne pouvons pas toujours faire des visites à domicile et tous les patients ne peuvent pas venir à la clinique par leurs propres moyens ».

L'objectif de l'équipe est d'autonomiser les familles en leur apprenant à prodiguer des soins à domicile à leurs proches avec l'aide d'un soignant. Imam Hossain, le physiothérapeute de l'équipe, a appris à Abdulai, 26 ans, comment effectuer des exercices de physiothérapie de base pour sa grand-mère alitée, Beloca.

Beloca, 65 ans, a été victime d'une attaque cérébrale il y a cinq ans qui l'a rendue hémiplégique. Depuis qu'il a appris les exercices il y a six mois, Abdulai les exécute avec rigueur et dévouement. « J'ai vraiment remarqué une amélioration depuis que nous avons commencé la physiothérapie. Elle peut partiellement bouger sa jambe à nouveau », dit-il.

« Nous mourons tous au final, mais la façon dont nous partons a son importance, aussi bien pour les gens qui meurent, que pour ceux qui les entourent ». - Tasnim. Photo : OIM/Monica Chiriac

La plupart des aidants et des parents sont bien conscients du fait que leur proche décédera tôt ou tard - ils veulent juste qu'il ait une fin de vie respectée, digne et sans douleur. Les soignants s'adressent aux équipes de soins palliatifs pour obtenir un soutien, qui à leur tour font tout leur possible pour que les soins de fin de vie du patient soient respectés. « Les familles nous contactent même après le décès du patient pour nous remercier de ne pas les avoir abandonnées dans les pires moments ». Cela ne fait qu'encourager l'équipe à continuer à avoir ces conversations difficiles avec les patients, les soignants et les membres de la communauté, mais cela ne rend pas pour autant leur travail facile.

« À la fin du mois, quand je regarde ce que nous avons fait pour le patient dans ses derniers jours, cela peut être à la fois gratifiant et frustrant », confie Tasnim. « Quand j'entends la gratitude des gens dont on s'est occupé alors que personne d'autre ne l’a fait, cela me rappelle que nous faisons une différence ».

Le programme de soins palliatifs de l'OIM à Cox's Bazar est rendu possible grâce au soutien du Service européen de protection civile et opérations d'aide humanitaire (ECHO), du Ministère australien des affaires étrangères et du commerce (DFAT), du Foreign, Commonwealth & Development Office (FDCO) et de la Banque mondiale.

Pour plus d'informations, veuillez contacter Monica Chiriac, Tél : +880 1880 084 048, Email : mchiriac@iom.int

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