Depuis trois ans, Ahmed*, 23 ans, vit à Millennium Park, un camp créé en 2018 à la périphérie de Dire Dawa, à l'est de l'Éthiopie, pour accueillir des milliers de personnes déplacées en raison du conflit interethnique entre les communautés d’Oromo et de Somali.
En raison des expériences traumatiques qu'il a vécues, Ahmed mène une vie tranquille ici, près de sa mère et de ses frères et sœurs, et ne se mêle pas aux étrangers.
Certaines personnes de la communauté interprètent sa nature renfermée comme étrange et le traitent différemment. Ils ne se rendent pas compte qu'il a vécu des épisodes douloureux qui ont eu de lourdes conséquences sur son bien-être, les attitudes peu empathiques l'isolant davantage.
Un rapport national de septembre 2020 sur les déplacements produit par l'équipe de la Matrice de suivi des déplacements (DTM) de l’OIM en Ethiopie a révélé que plus de 1,8 million de déplacés internes vivent en Éthiopie. Les quatre principales causes du déplacement sont le conflit, la sécheresse, les inondations saisonnières et les crues soudaines, responsables respectivement du déplacement de plus de 1,2 million, 350 000, 104 000 et 50 000 personnes à travers le pays.
Une violence indescriptible
Avant que le conflit n'éclate entre les Oromos et les Somalis il y a près de quatre ans à propos du territoire, notamment des pâturages, Ahmed était un lycéen qui aimait jouer au football et lire des romans. Lorsque des groupes armés ont envahi sa ville, Ahmed a été choqué par la violence horrible qui a secoué sa propre famille et sa communauté. Il a vu de nombreuses personnes se faire tuer, dont une femme qui a été décapitée sous ses yeux.
Suite à ce déplacement violent, Ahmed dit avoir senti « qu'il ne servait à rien de vivre dans un monde où les êtres humains sont extrêmement cruels les uns envers les autres sans raison apparente ». Cet événement a changé de manière irréversible son monde, sa vie et celle de tous ceux qui l'entouraient.
Il a été confronté à un certain nombre de problèmes de santé mentale : de graves problèmes de sommeil dus à des cauchemars répétitifs et une peur rampante que les épisodes violents se reproduisent. Tout cela l'a conduit à l'isolement. Il avait le sentiment que personne ne le comprenait ou ne pouvait l'aider à surmonter sa dépression et son anxiété, ce qui n’a fait qu’aggraver son cas.
Le chemin de la reconstruction
En août 2020, son chemin vers la reconstruction a finalement pu commencer lorsque le dirigeant communautaire du site lui a présenté un conseiller en santé mentale et soutien psychosocial (SMSPS) de l'OIM.
Depuis mars 2019, l'OIM fournit des services SMSPS dans le camp par le biais d'une équipe mobile psychosociale formée. L'intervention SMSPS dans la région comprend la formation des acteurs gouvernementaux et locaux, les premiers secours psychologiques, la prévention et la sensibilisation à la violence fondée sur le genre, la thérapie individuelle pour les personnes en détresse psychologique, l'orientation vers les centres de santé mentale disponibles et le suivi des cas les plus graves.
Febene Tadesse, la conseillère qui travaille sur le site de Millenium Park, a aidé Ahmed à trouver des moyens pour gérer son insomnie et sa peur, et à traiter ce qui semblait être un sentiment de culpabilité d’avoir survécu alors que d'autres étaient morts.
Dans le cadre d'un parcours de conseil global, sur plusieurs sessions et plusieurs mois, le conseiller a proposé un exercice connu sous le nom de « ligne de vie », dans lequel la personne se rappelle dans l'ordre chronologique les expériences agréables de sa vie, et apprend à surmonter les épisodes les plus difficiles tout en envisageant un futur rôle productif dans la communauté.
Le conseiller a identifié les forces mentales d'Ahmed et les a utilisées pour l'aider à surmonter les sentiments négatifs qui l'accablent. Il a également progressivement pu rétablir ses relations et réseaux sociaux. Après trois mois de thérapie, les symptômes d'Ahmed ont diminué de manière significative, avec moins de cauchemars, un meilleur sommeil et une amélioration de ses capacités de communication.
Ahmed a également rejoint l'équipe de volontaires communautaires de l'OIM et a participé à l’organisation de matchs de football sur le thème de la COVID-19 pour les enfants. Il a expliqué que quelques semaines après avoir rejoint l'équipe, son attitude envers la vie a commencé à changer. Ses interactions avec les autres se sont améliorées et il a retrouvé un sens à sa vie.
Depuis la thérapie, Ahmed est également devenu volontaire au sein de l'équipe SMSPS de l'OIM pour créer des sessions de sensibilisation de porte à porte dans le camp afin d'éclairer sa communauté sur les problèmes de santé mentale et l'importance de chercher de l'aide rapidement.
« Faire partie de l'équipe qui aide la communauté m'a aidé à communiquer à nouveau avec les autres. Au lieu de projeter mes peurs, j'ai maintenant retrouvé ce qui semblait être un espoir perdu et je veux poursuivre mes études. J'économise de l'argent pour cela », a-t-il expliqué.
L'OIM continue à aider les déplacés internes et les communautés touchées par le conflit qui ont un besoin urgent d'aide humanitaire et de relèvement. Le cas d'Ahmed montre l'importance de répondre aux besoins de santé mentale des migrants et des personnes déplacées qui ont vécu des épisodes traumatisants. Il montre également que les symptômes graves de santé mentale peuvent devenir envahissants et incontrôlables s'ils ne sont pas pris en charge.
Les troubles de santé mentale ont un impact important sur les personnes, les familles et des communautés entières. Pourtant, ils restent peu étudiés chez les personnes en situation de déplacement, notamment en Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d'Afrique avec un nombre important de migrants, de migrants de retour et de déplacés internes.
La stigmatisation des problèmes de santé mentale reste également un problème important qui peut être combattu de nombreuses manières, notamment en écoutant les personnes touchées par la crise et en leur donnant les moyens de jouer un rôle prépondérant dans les processus de relèvement communautaire, tout en s'efforçant d'empêcher que la discrimination ne soit un obstacle à l'accès aux moyens de subsistance.
Les activités SMSPS de l'OIM à Millenium Park sont rendues possibles grâce au financement du Fonds humanitaire pour l'Éthiopie.
Histoire écrite par Marie Duverge (mduverge@iom.int) et révisée par Eric Mazango (emazango@iom.int), OIM Ethiopie.
*Le nom a été modifié pour protéger l'identité du bénéficiaire.