Assis sur le lit dans la chambre qu'il partage avec sa mère et sa jeune sœur, Nsikelelo Mamba, 16 ans, doit loucher pour pouvoir regarder un programme à la télévision à moins d'un mètre devant lui. Sa sœur, Samkelisiwe, 12 ans, n'a pas besoin de loucher autant, mais sa vue n'est pas parfaite non plus.
Ces derniers mois, le frère et la sœur ont passé la plupart de leurs journées à regarder et écouter des programmes éducatifs à la télévision et la radio pour tenter de poursuivre leur scolarité.
Depuis qu'ils ont rejoint leur mère à Nkomazi, dans le nord-est du Mpumalanga, Nsikelelo et Samkelisiwe ne peuvent pas aller à l'école. Le confinement dû à la Covid-19 n’a pas permis à leur mère de leur trouver une place dans une école de la région.
Au lieu de cela, les enfants passent la plupart du temps dans la petite pièce qu'ils louent tous les trois, en espérant que les programmes éducatifs leur permettront de ne pas prendre trop de retard dans leurs études. Nsikelelo était frustré de ne pas aller à l’école. « L'école me manque. J'aime vraiment les mathématiques ». Il espère devenir un jour médecin ou professeur de mathématiques.
Leur mère, Enough Sihlongonyane, vit en Afrique du Sud depuis 2014, après avoir quitté sa famille et le père de ses enfants à eSwatini pour s'installer à l'étranger pour « une vie meilleure ».
« Je ne voulais pas rester avec mes parents. Je voulais me débrouiller seule ».
Enough Sihlongonyane n'a pas pu trouver de travail à temps plein à Nkomazi. Elle fait plutôt des travaux ponctuels, comme laver les vêtements d'un voisin ou faire le ménage pour d'autres personnes de la région. Bien que le loyer de la chambre soit de 350 rands par mois, elle déclare gagner environ 50 rands par jour si elle fait du ménage pour les gens du quartier.
Nsikelelo et Samkelisiwe sont d'abord restés à eSwatini pendant que leur mère essayait de trouver ses marques dans un nouveau pays. Elle avait toujours prévu que les enfants la rejoindraient, mais avec l'arrivée de la pandémie de coronavirus, ils sont arrivés plus tôt que prévu.
Les deux enfants sont nés avec l'albinisme. Enough Sihlongonyane a déclaré qu'elle ne connaissait aucun membre de sa famille atteint d'albinisme et a été très surprise de voir ses deux enfants naître avec cette maladie.
L'albinisme, une maladie congénitale caractérisée par l'absence totale ou partielle de pigment dans la peau, les cheveux et les yeux, entraîne souvent un certain nombre de déficiences visuelles telles que la photophobie (sensibilité à la lumière), le nystagmus (mouvement involontaire des yeux) et l'amblyopie (trouble du développement de la vision dans lequel un œil n'atteint pas une acuité visuelle normale).
En Afrique du Sud, les personnes atteintes d'albinisme sont parmi les citoyens les plus marginalisés et les plus vulnérables du pays, mais très peu d'attention est accordée à leur protection contre les violations des droits de l'homme. Jusqu'à récemment, l'albinisme n'était pas considéré comme un handicap, mais les appels de la communauté atteinte d’albinisme se multiplient pour qu'il soit classé comme tel.
Nomasonto Mazibuko, fondatrice et directrice nationale de la Société d'albinisme d'Afrique du Sud, qui est elle-même atteinte d'albinisme, a déclaré que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme avait pris des mesures pour mieux soutenir les personnes atteintes d'albinisme. Certains pays européens considèrent notamment les personnes atteintes d’albinisme comme non-voyants au sens de la loi, ce qui leur donne les mêmes droits que les autres personnes handicapées.
« Il n'y a pas de solution unique parce que notre capacité visuelle n'est pas la même. Vous en trouverez donc qui vous diront « non, nous ne sommes pas handicapés », mais nous ne pouvons pas nous asseoir au soleil, nous ne pouvons pas travailler dans les champs, et c'est particulièrement difficile dans les zones rurales proches des frontières », a-t-elle déclaré.
Oupa Zitha, présidente du forum sur le handicap d'Ehlanzeni, qui connaît très bien Enough Sihlongonyane et ses enfants, a déclaré que le forum considérait les personnes atteintes d'albinisme comme handicapées en raison des déficiences visuelles et des problèmes de peau qui l'accompagnent souvent.
En outre, la stigmatisation de la communauté et les regards indiscrets des autres la dérangeaient souvent plus que tout.
« Pour moi, c'est une mauvaise chose », dit Enough Sihlongonyane. « Mais je suis ici en Afrique du Sud, donc je ne peux rien dire. Si je dis quelque chose, ils diront : « C'est notre pays, nous pouvons dire n'importe quoi, vous ne pouvez pas nous juger ».
En Afrique du Sud, et dans un certain nombre d'autres pays africains, il a été signalé que des personnes atteintes d'albinisme étaient assassinées pour certaines parties de leur corps utilisées dans des rituels de sorcellerie. Dans un rapport publié en 2016, Amnesty International a constaté que ces attaques contre les personnes atteintes d'albinisme sont alimentées par des croyances stéréotypées selon lesquelles certaines parties de leur corps apportent richesse et chance.
Mkhulu Zama Ndebele, guérisseur traditionnel et vice-président de Buyisa, un conseil de guérisseurs traditionnels à Alexandra, Johannesburg, a décrit cela comme un « mythe dangereux », qui ne représente pas les croyances des guérisseurs traditionnels. « Ce qu'ils font, c'est commettre des meurtres. C'est l’assassinat de personnes innocentes ».
Nomansonto Mazibuko a déclaré que toute personne atteinte d'albinisme craignait d'être assassinée pour des parties de son corps. « Il est essentiel pour nous de démystifier les croyances autour de l'albinisme, et nous ne pouvons pas nous arrêter à éduquer, éduquer, éduquer ».
Enough Sihlongonyane a confié que ces signalements de meurtres l’ont rendue très prudente avec ses enfants. « Ils sont aussi effrayés, surtout les plus âgé. Il est conscient de ce qui se passe ».
Siboniso Hlophe, 28 ans, un compatriote swazi également atteint d'albinisme, vit à proximité avec Jane Moyo, une femme de 92 ans qui l'a recueilli lorsqu'il est venu en Afrique du Sud.
Il aide Zitha et fait de la sensibilisation pour le Forum des personnes handicapées d'Ehlanzeni dans la région. Sinon, il est au chômage.
Je suis un être humain différent des autres.
Pour Siboniso Hlophe, c'est aussi la stigmatisation, les regards et les commentaires des passants qui ont été un problème plus important que les complications de santé ou les difficultés qu'il a rencontrées à cause de l'albinisme. « Les gens, vous savez, ils se moqueront et vous traiteront différemment. Mais j'ai décidé de me dire : « Je ne vais pas prendre à cœur ce que les gens me disent ». J'avais 12 ans quand je me suis dit cela. Comme ça, je survivrai.
Siboniso Hlophe déclare qu'il n'avait pas compris au départ pourquoi les personnes atteintes d'albinisme pouvaient obtenir l’aide du Forum des personnes handicapées d'Ehlanzeni. « Pour être honnête, je ne comprenais pas. Je me dis simplement que je suis un humain différent des autres. Jusqu'à ce que je rejoigne le forum. Là, j’ai commencé à comprendre ».
Photographie de James Oatway — Texte de Jan Willem Bornman
Histoires de migration et de courage. Ce projet a été mis en œuvre en partenariat avec le Centre africain pour la migration et la société (ACMS) de l'Université Wits et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) avec le financement de l'ambassade d'Irlande.